Dans un « seul en scène » inattendu, le conteur Yannick Jaulin, comédien dans la trilogie de Wajdi Mouawad, évoque un animal disparu qui a donné naissance à un mythe littéraire : le dodo. Pour Jaulin originaire de Vendée, cet oiseau incapable de voler, de courir, ou de chasser, qui vécut tranquille du coté de l’île Maurice jusqu’à sa découverte par des explorateurs européens au 16e siècle, est une métaphore de la disparition des cultures locales. Le spectacle commence dans la salle des fêtes de Pougne-Hérisson (Deux-Sèvres), où la compagnie de Jaulin est implantée, par un discours sur la mort des cultures en poitevin-saintongeais, qui sera ensuite contrecarré par la parole optimiste d’un conteur de la ville. Voilà deux visions de l’extinction des langues et des cultures : le « parlanjhe » et le français, le terroir et Paris, la mort du dodo ou sa défense illusoire…
Il est très rare, pour ne pas dire impossible, d’entendre une langue régionale sur une scène théâtrale, a fortiori parisienne, à l’instar de l’occitan mis en valeur dans certains spectacles de Jean-Pierre Dupin. Ici c’est donc le Poitevin, une langue d’oïl qui ressemble à l’acadien parlé, comme le québécois, à l’est du Canada, puisque beaucoup d’Acadiens ont quitté le Poitou et le Saintonge à la fin du 16e siècle. « Le vivait sur l’île Maurice, un peu comme Maurice au village qui vivait sur son île (pi qu’à disparu aussi) », dit le premier conteur, comparant la bestiole à son ami Maurice qui aime boire et faire dodo, tandis que le second, hyperactif et grandiloquent, finit par un discours mégalomane au pupitre de l’ONU.
Au delà du patois, ce spectacle vif et polymorphe intègre des morceaux chantés, une forme de déclamation rythmée sur de la musique façon slam-rap et beaucoup de jeux de lumière. A la fin, le comédien offre un morceau de bravoure en rejouant seul le combat opposant en 1974, dans le stade de Kinshasa plein à craquer, Mohamed Ali qui incarne l’Afrique à Georges Foreman qui, avec son gros chien, représente les États-unis. Même s’il excelle moins à faire rire qu’à émouvoir, comme la plupart des comédiens « classiques » s’exerçant au one-man-show, Jaulin impressionne par l’énergie et la précision de son jeu. Et tout comme le dodo qu’il honore, c’est un drôle d’oiseau !