Des classiques à nos jours, la reprise de mythes grecs a toujours été un procédé créatif fécond. La trahison, la vengeance, l’inceste, ne se démodent pas. C’est une tragédie de Sophocle assez peu connue, Les Trachidiennes, qu’a réécrite en 2004 l’auteur anglais Martin Crimp. Tendre et cruel est une adaptation de la légende d’Hercule aux résonances actuelles. Déjanire, exilée avec ses enfants, devient Amélia ; son mari sanguinaire, Héraclès, est ici le Général, pris dans une lutte sans fin ni merci contre le terrorisme, cette hydre antique dont les têtes repoussent plus nombreuses. Hilos, le fils aîné, est James. Et l’exil de sa mère est traduit par un appartement sans âme, dans un quartier riche près d’un aéroport. Le Général est poursuivi pour crime contre l’humanité, il a rasé une ville pour la seule raison qu’il aime la fille du souverain de cette ville, cette maîtresse qu’il fait venir chez sa femme, esseulée, avec à son service une gouvernante, une masseuse et une manucure qui la traitent comme une poupée bourgeoise… Mais Amélia cherche un philtre de paix pour rendre son mari inoffensif. Or croyant le sauver, elle le tue avant de se donner la mort, comme dans la tragédie grecque.
L’écriture de Crimp, très précise, est bien rendue par la traduction de Philippe Djian, suivie à la lettre par la mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman. Les dialogues s’entrecroisent, se superposent : les acteurs parlent parfois en même temps, certains commençant leur réplique quand d’autres finissent la leur, sans que ça ne gêne la compréhension. Ce théâtre vivant, incarné, aux phrases parlées sans artifice, ne manque pas d’effet de réel. Et le mythe est intact : dans sa quête idéale et meurtrière pour nettoyer, purifier le monde, le général ne comprend pas « que plus il combat le terrorisme plus il engendre le terrorisme ». Des témoignages d’enfants soldats sont projetés en vidéo. Le ton et le jeu justes, la mise en scène rigoureuse, cursive, concourent à rendre implacable cette description de la violence du monde actuel.