Yann Frisch est un artiste étonnant, doué non seulement pour la magie, mais aussi pour le clown. Champion d’Europe de magie en 2011, champion du monde de close up en 2012, il est un illusionniste doublé d’un orateur hors pair, capable de se lancer dans des logorrhées inspirées, absurdes et métaphysiques à la manière de Fred Tousch, tout en jouant aux marionnettes avec une tasse et un broc d’eau pour raconter des histoires émouvantes ou sordides qu’il commente à mi-voix – ces mêmes éléments dont il usait pour son numéro Baltass.
Perruque sale, truffe sombre en guise de nez rouge, cet être singulier inquiète, amuse, martyrise une poupée qu’il dit être sa mère et passe son temps à manger des bananes pour se calmer. Personnage de clown perdu, à la modernité d’un Boudu, maîtrisant l’humour et l’art prestidigitateur d’un Eric Antoine, il met à distance les trucs ringards de la magie et ridiculise les grosses ficelles des clowns, chute causée par une flaque d’eau, tiroir jouant une musique intempestive toutes les cinq minutes, ou nuage de fausse neige disposé pile au-dessus de sa tête.
Yann Frisch possède une aura naturelle. A l’aise dès les premières secondes, il instaure un rapport direct aux spectateurs, en commençant par imiter leurs rires, révélant les intentions latentes de ces éructations, piaillements, ricanements qui se révèlent moqueurs, joyeux ou contenus.
Le syndrome de Cassandre ne signifie par que le clown serait porteur de messages désastreux. Ce titre suggère que le clown est un être seul et désespéré que personne n’écoute. D’où cette succession de monologues verbeux et comiques. Yann Frisch peut tout faire et il ne cesse jamais d’être drôle.
Magicien, clown, stand-uper, conteur, il est donc tout à la fois, et passe d’un registre à l’autre avec une rapidité confondante. Il s’interrompt même pour proposer au public de lui demander de faire tout ce qu’il veut – et aussitôt il s’exécute. Ainsi, debout en imperméable dans un halo de lumière trouant la pénombre, il sort une guitare de sa manche pour improviser une chanson, jongle avec des boules et, lorsqu’on lui crie « à poils ! », baisse son pantalon pour révéler une nudité qui se révèle factice, ultime pied-de-nez aux spectateurs médusés.
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