C’est un théâtre de marionnettes d’une beauté et d’une force stupéfiantes qu’accueille le Paradis, la salle du Lucernaire aménagée sous les combles. Une reprise, la recréation d’un spectacle créé initialement en 2001 au théâtre de la Commune (Aubervilliers), qui prend une acuité particulière aujourd’hui où affluent de toutes parts des réfugiés. Ce texte évoque sans pathos, de façon pointilliste et métaphorique, les trains de déportés vers les camps. Les mots de Daniel Keene, auteur australien contemporain, sont dits et mis en scène avec une justesse exceptionnelle par Alexandre Haslé, qui a conçu de grandes marionnettes aux visages d’une expressivité fascinante.
Une femme, qu’on découvre à différents âges de sa vie, évoque ses souvenirs : la rencontre furtive avec des gens sur le départ, prêts à embarquer dans un train sans retour, et qui lui confient leurs objets qu’elle entasse dans sa maison, dans l’espoir peut-être qu’ils reviendront. Ces personnages ont pour corps les marionnettes réalistes confectionnées par le comédien, qui s’animent puis s’éteignent, étalées au sol, sans vie. Alexandre Haslé manipule à vue, il fait corps avec ses créatures qui semblent se mouvoir naturellement, au fil des déplacements fluides qu’il leur impulse.
L’histoire est racontée par la narratrice Hanna, en quelques mots justes, simples, choisis, d’un débit qui parfois hésite et se répète. Hanna est jeune, Hanna est vieille, mais sa voix est toujours la même, c’est celle du comédien, une voix neutre, précise, sans pathos qu’il prête aussi, invariablement, à d’autres personnages. Hanna est un témoin. Ni bourreau ni victime, elle décrit ce qu’elle voit, évoque ces gens et leurs objets qui emplissent son appartement et la contraignent à vivre dehors. Parmi ces objets qui vieillissent et tombent en poussière, le seul qui résistera à l’usure du temps est cette bouteille d’eau de pluie confiée par un petit garçon, cette pluie qui donne son titre à la pièce. Tous ces biens finissent disséminés sur la scène, aux côtés des marionnettes étalées comme autant de dépouilles sans âme. La pluie est un spectacle bouleversant de justesse.