A l’instar des groupes de rap inconnus qui « niquent » Skyrock sans parvenir à passer sur les ondes, ceux qui se disent « censurés à la radio » déguisent souvent le dépit d’un échec sous une posture révoltée. Ce n’est pas le cas de Manuel Pratt, bras et doigts tatoués, dont la langue acérée fouette le consensus, sans souci de bienséance, et dont l’engagement extrême renverse les règles du système médiatique. Sa dernière chronique sur France Inter, plus politique qu’humoristique, lui a valu de quitter l’émission de Stéphane Bern. On pourrait craindre que cette hargne vengeresse ne contamine le spectacle, mais non, l’humoriste s’amuse aussi, qu’il ironise sur les coiffeuses ou les hommes politique.
« Ah la musique de merde » commence-t-il, depuis le fond de la salle, avant de parodier un discours de campagne à la Sarko, en incarnant un politicard cynique qui méprise ceux dont il serre la pogne au marché. Dévoilé tel quel, sans fioriture, le fond de la pensée est un discours ordurier qui souscrit à cet ancien slogan du FN, « celui qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Le ton est donné, ça cogne sévère !
Puisque les médias (hors presse) ne relaient pas sa parole, l’humoriste imagine de nouvelles stratégies de com en demandant aux spectateurs de répéter partout qu’il « faut aller voir Pratt parce qu’il va mourir ». Il s’attaque aux écolos qui font leurs courses dans des supermarchés hors de prix où tout le monde se salue, comme les randonneurs déployant des assauts de politesse avant de redevenir des chauffards. Il aime les « plaisirs simples » de la vie : faire chier une coiffeuse, tirer la langue à un aveugle, jouer avec un fauteuil roulant… Abordant le tabou – devenu bateau – des humoristes actuels, il frappe également sur les monothéismes et, fort de son identité juive, il s’en prend violemment aux sionistes et à l’état israélien en comparant même Simon Peres à Himmler !
Manuel Pratt parle très vite et fait réfléchir, enchaînant les phases à rebondissement, comme sur la forme Denis Maréchal, Jérôme Daran, ou Wally , vu sur les mêmes planches dans le même type de best of… Il glisse partout des incises, ouvre et ferme des parenthèses qui explosent à retardement quand les croit finies. Mais le fond grinçant fait plus penser à Albert Dupontel. Derrière sa critique radicale de l’argent, de la politique, de la droite, de la corruption point un esprit alerte et assez fin, nuancé même, parfois. Entre les phases stand-up, l’humoriste incarne des personnages avec un parfait savoir-faire, comme ce vieux catho à l’accent d’Ormessonien qui narre sa rencontre avec sa compagne aux JMJ : les expressions sentent le vécu, le vocabulaire soutenu et vieillot de l’érudit conservateur est justement choisi.
Si Manuel Pratt est à Paris deux soirs par semaine, il habite Avignon dont il investit chaque année le festival off. Peu médiatisé en raison de la radicalité de son propos, il n’en est pas moins une référence pour bien des humoristes dont Thomas VDB. A fleur de peau, il vomit toute forme de compromission. « Le silence des pantoufles est aussi terrible que le bruit des bottes », répète-il dans une séquence scandée comme un slam, au terme de laquelle il conclut révolté, bouleversé, exténué en faisant allusion aux mines antipersonnel dont la France serait le premier vendeur mondial. « Putain quel monde de merde », finit-il par hurler avec les tripes. Plus engagé, tu meurs !
Spectacle à 3 euros, le reste au chapeau !
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