La scène est recouverte de bandes blanches, clôtures ou lignes de courtoisie qui symbolisent un monde social circonscrit. Cédric Paga, 53 ans, formateur au CNAC (Centre national des arts du cirque), a fait plusieurs spectacles avec son clown Ludor Citrik créé en 2000. Qui sommes-je ?, conçu avec Côme Delain en 2012, évoque l’asservissement progressif aux règles sociales de l’enfant, incarné par ce personnage à la vitalité débordante, fougueuse et spontanée, domestiqué par un clown blanc inflexible, dictatorial. Un blog retrace les étapes de leur réflexion sur l’archéologie de l’enfance, http://ludorcitrik.over-blog.com/
En plus d’une puissante performance physique et d’un jeu exploitant tous les registres possibles – enfantin, animal, masculin ou féminin, timide ou explosif -, le texte se nourrit d’a-peu-près poétiques suggérant un autre niveau de discours, à l’image de « Je vous en crie ».
C’est d’abord une mise au monde, un nourrisson vêtu d’une grosse couche fasciné par son reflet, le stade du miroir, c’est ensuite l’adolescente en robe blanche admirant ses courbes, c’est un adulte à la cool qui intervient en disant « c’est pourri, ça !». Parfois, sans ambiguïté, Cédric Paga redevient lui-même : « je peux pas m’empêcher de faire blagounettes » ou « pourquoi je continue à faire ça à presque 54 ans ? »
Le voilà qui vide le coton de sa couche, puis l’eau de la bouteille qu’il ne sait comment boire, et l’on retrouve cette tendance clownesque à souiller la scène, il réduit en miettes son gâteau qu’il étale au sol mouillé, se débat dans ses liquides. Alors il se fait tancer, réprimander, domestiquer, discipliner, asservir, taper dessus, mettre en laisse par son bourreau, l’instance de régulation sociale qui le torture psychologiquement et physiquement, jusqu’à ce que la bête brise ses chaînes et se rue sauvagement vers le public.
J’ai un discours, finit par dire l’artiste après avoir salué, et on s’attend à quelque chose d’emphatique. Mais c’est court et incisif : « Aujourd’hui on est en train de disparaître. Mais c’est pas de la magie, c’est de l’économie. Et parfois de la barbarie ». Rideau.
Pingback: Que voir au festival d'Avignon cet été ? La sélection de Criticomique | CRITICOMIQUE