Les papotins ou la tache de Mariotte

  • D'après le journal Le Papotin. Mise en scène Eric Petitjean. Avec Silvia Cordonnier, Christian Mazzuchini, Philippe Frécon, Philippe Richard
  • Spectacle vu le 20 mars 2012 à

Il arrivent sur scène dans un ordre immuable, s’asseyent sur un banc dos aux spectateurs. L’un ne voit le monde qu’à travers le prisme des voitures, dont il connaît toutes les marques, tous les modèles. Il aime aussi chatouiller les filles sous les pieds. L’autre, excellent Christian Mazzuchini au faux air d’Olivier Saladin, dresse des typologies, en particulier celle des êtres vivants selon qu’ils ont ou non une queue, des ailes. Elle défend les clochards et les paumés contre les dictateurs, râle toujours (« c’est vraiment la merde ces bus de banlieue »), propose de supprimer le bénévolat pour donner du boulot aux chômeurs et rêve de réunir tous les contes de fées en un seul. Le dernier se tient en retrait des autres, il écoute du rap et semble réfléchir. Si l’on isole des fragments de leurs propos, tous semblent normaux. Mais leur obsession à ressasser les mêmes sujets révèle une façon d’être « atypique », comme ils disent. On sent que tout peut basculer si la réalité n’entre pas dans les cases de leur esprit, dont les motifs colorés projetés en fond de scène donnent une image.

Arnaud, Nathanaël, Carole et Thomas sont autistes et ils se réunissent chaque semaine pour faire un journal, les Papotins. Des politiques ou des personnalités leur rendent visite, qu’ils soumettent à des batteries d’interrogations plus concrètes ou profondes que celles des journalistes « typiques ». « On peut se tutoyer ? Tu habites où ? A quel étage ? Qu’est-ce que tu as comme voiture ? » Ces questions inhabituelles donnent lieu à des échanges extrêmement riches.

Les comédiens jouent tout en nuances des personnages qui, bien que très différents les uns des autres, semblent d’abord fermés sur eux-mêmes. Mais petit à petit, ils brisent la frontière avec la salle, interpellent le public, serrent des mains… Une glace fond et nous pénétrons de plain-pied leurs réunions hebdomadaires. Et on rit ! Entre les scènes, les noirs sont scandés par les musiques d’NTM ou Prokofiev, des rythmes techno semblent faire écho aux lignes quadrillées et mouvantes qui strient le fond de scène. Car ce sont d’autres repères, un autre point de vue sur la vie que donne à voir cette création. A l’image du phénomène optique de la « tache de Mariotte », disparition d’une zone adjacente à un point observé fixement. Cet angle mort implique aussi une autre vision du monde.

Crédit photo : Antonia Bozzi

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