Après son spectacle sur la Commune de Paris, David Lescot s’intéresse à la naissance des radios libres. Ce sujet lui est une occasion de laisser libre cours à ses expérimentations sonores et scéniques, sur fond politique puisque cette histoire est contemporaine de l’arrivée de Mitterrand au pouvoir. Le parti pris est à la fois artistique et didactique en énonçant date par date, année après année, les événements marquants de la libéralisation des ondes depuis le monopole giscardien jusqu’aux radio libres. L’enjeu est de montrer comment on est passé de la radio associative pirate émettant illégalement avec une antenne sur un toit, à la radio libre privée diffusant de la publicité. Tous ces débats sont rendus sur scène à travers les discussions d’une équipe composite de radio associative, laquelle doit ensuite fusionner avec une autre.
On se retrouve dans un espace bifrontal, c’est-à-dire que le public est assis de part et d’autre de la scène sous les très hauts plafonds du Vieux-Colombier. Le décor nous plonge dans une époque que rappellent aussi, plus vrais que nature, les vêtements et les coupes de cheveux des personnages. Voici donc à la fois une reconstitution historique extrêmement précise, une série de performances et une analyse de cette époque qui était une utopie réalisée. Comme d’habitude, David Lescot a mêlé la musique, le documentaire, le théâtre et la danse, sans oublier des textes poétiques inspirés. La troupe de la Comédie-Française s’illustre brillamment, chacun jouant deux ou trois personnages. Ils dansent, rappent, chantent, font des boucles de sampling vocal, ou incarnent des musiciens punk.
C’est toute l’ambiance de cette époque qui resurgit durant deux heures. A travers l’histoire de deux radios fictives, Radio Quoi et Radio Vox, les noms des pionnières reviennent en tête : Radio verte qui émet la première émission clandestine, Radio Lorraine cœur d’acier, Carbone 14, Voltage ou Radio Nova qui résulte de la fusion de Radio Verte et de Radio Ivre. On reconnaît la figure de Jean-François Bizot dans le patron allumé de Radio Vox, incarné par l’excellent Christian Hecq, tout aussi génial en philosophe de gauche analysant ce que signifie une voix de droite. C’est une parenthèse de liberté incroyable qui a été expérimentée en France entre 80 et 84, à la suite de l’Angleterre, jusqu’à cette loi qui autorise les radios privées locales à recourir à la publicité.