Au théâtre Antoine Vitez à Ivry, on assiste à un « projet » adapté de la version donnée par le romantique allemand Kleist du mythe grec des Amazones, dans la traduction de Julien Gracq – dont résonne trop rarement la langue pure et mesurée. Soit une proposition de ce que le théâtre contemporain offre de plus caricatural. Un projet scénique de notre époque, incluant pêle-mêle une installation artistique, du slam, du clown (avec Adell Nodé-Langlois dont on connaissait l’intérêt pour la mythologie mais qui n’est pas mise en valeur ici), de la pédale loop et du beatbox saturé, de la vidéo approximative montrant en direct ce qui se joue sur scène, des dialogues parlés ou enregistrés quand les comédiens se tiennent debout sans bouger les lèvres. Bref, les idées fusent de toutes parts, au risque de perdre les spectateurs.
Le public est d’abord amené sur la scène métamorphosée en installation d’art contemporain, un sol recouvert de bâches où se tordent les comédiens, à côté d’une maquette de bâtiments éventrés, entre Bagdad et Sarcelles, qu’un cameraman va filmer. « La scène est un champ de bataille », nous rappelle une inscription sur un côté du plateau. On passe d’un registre de langue à l’autre, de l’écriture de Gracq au slam, des textes féministes des années 70 à l’aparté, quand la comédienne se moque de sa posture outrée en disant « Non, là je suis trop dramatique ! » Nadège Prugnard (Penthésilée) fait alors rire les spectateurs. Comme elle, les acteurs sont habillés de façon contemporaine, parfois ils s’adressent directement au public qui reste sans réaction, impuissants à briser le 4e mur.
Penthésilée est la reine des Amazones, une communauté de femmes qui a décidé de vivre en dehors de la loi des hommes. Son courage est sans borne. Durant le siège de Troie, escortée de ses troupes de cavalières au sein droit coupé pour mieux tirer à l’arc, elle affronte aussi bien les Grecs que les Troyens. Sur le champ de bataille, elle tombe amoureuse d’Achille, qu’elle va poursuivre et ramener dans son royaume. Dans la version de Kleist, Penthésilée n’est pas tuée par Achille, elle le déchire avec ses chiens. Sur l’affiche du spectacle, identifiable comme les autres du théâtre Antoine Vitez à ce qu’elle met en exergue une citation frappante, on lit d’ailleurs : « Elle n’est plus qu’une chienne parmi les chiens ».
La mise en scène de Catherine Boskowitz laisse beaucoup de place aux acteurs qui ont eu le loisir d’improviser certains passages. Elle multiplie aussi les artifices en complexifiant, durant 2h30 et sur tous les modes possibles, une histoire dont on finit par perdre le fil. Car les moments où commence à s’installer une intensité dramatique, comme la scène où Penthésilée et Achille parlent côte à côte au fond du plateau, finissent par se rompre sur une nouvelle expérimentation formelle. Sans doute qu’à force de tout vouloir montrer, Catherine Boskowitz n’a pas fait de vrai choix.