En plus de créer des spectacles de toutes pièces, le prolifique et talentueux Joël Pommerat aime reprendre des contes de fées : Cendrillon, le Petit Poucet, ou ce Petit chaperon rouge de 45 minutes destiné aux spectateurs de plus de trois ans. Pourtant, comme toujours, une atmosphère d’inquiétante étrangeté imprègne le plateau, jeux d’ombres et de lumières, nappes sonores enveloppantes. L’auteur a réécrit le conte en une langue très contemporaine, orale et dialoguée, dont les répétitions créent de nombreux effets de réel.
L’histoire est racontée de façon décontractée par un narrateur à la coule (Rodolphe Martin). Si les deux comédiennes parlent peu, elles n’en sont que plus angoissantes. La mère jouée par la danseuse Isabelle Rivoal a des airs de sorcière : elle se déplace sur la pointe des pieds, tourne en rond et fait le monstre, marchant le dos rond à quatre pattes presque à la façon de l’Exorciste. Quant à la fille vêtue de blanc, incarnée par Murielle Martinelli, sa morphologie d’enfant ronde dégage une ingénuité troublante.
Plutôt que la version de Perrault où l’enfant et sa grand-mère finissent dévorées, c’est celle des frères Grimm, où un chasseur les sauve en ouvrant le ventre du loup, qu’a reprise Pommerat, en lui conférant le style d’une parole actuelle. Le surnaturel est omniprésent : l’ombre de la petite fille qui se déplace de façon autonome, l’hyperréalisme du loup, dont la voix grondante et saturée déclenche dans la salle des rires de décompression. Joël Pommerat se plaît à jouer sur la peur enfantine, cette attirance mêlée de répulsion à l’égard de l’inconnu et de la nature sauvage, évoquée par une scénographie et des lumières comme toujours extraordinaires.