Le cercle des illusionnistes d’Alexis Michalik

Ce n’est pas un hasard si Le cercle des illusionnistes vient d’obtenir trois Molières. Le travail d’Alexis Michalik donne au théâtre la force de la narration romanesque. Comme Zola ou les feuilletonistes du 19e siècle, il met en scène des grands récits et visse à leurs sièges des spectateurs impatients de découvrir la scène suivante. Au delà de ses thèmes fétiches – l’identité, les histoires d’amour, la chasse au trésor -, il assortit son écriture de procédés efficaces, comme ces récits enchâssés et ces télescopages spatio-temporels qui créent une atmosphère fantastique, teintée d’inquiétante étrangeté.

Une fois passé l’effet de sidération lié à la découverte du Porteur d’histoires, qu’on attende beaucoup de Michalik ou que le récit soit moins ramifié, on est un peu moins fasciné par cette nouvelle création que par la précédente. En particulier, Le cercle des illusionnistes suit une trame historique : l’invention du cinéma par les frères Lumière, répandue et popularisée par Georges Méliès pour diffuser des spectacles de magie. Si Michalik ne cesse de mêler la petite histoire à la grande, c’est l’aventure du cinématographe qu’il déroule sur scène.

Première histoire : Georges Méliès, fils de marchands de chaussures qui a appris la prestidigitation en Angleterre, reprend le premier théâtre d’illusion jadis créé dans une cave par le magicien Robert-Houdin, créateur d’automates fascinants dont on suit aussi le parcours (deuxième histoire). En décembre 1895, il assiste à la première séance du cinématographe et pressent qu’avec ce nouveau procédé, il pourra remplir son théâtre en donnant plus d’écho à ses illusions. Il rachète le procédé et l’exploite, réalisant en quelques années 600 courts films fantastiques et comiques dans lesquels il invente les premiers trucages, notamment par des arrêts de caméra. Troisième histoire : en 1984, date du championnat d’Europe de football remporté par la France, se rencontrent dans le métro un pickpocket et une jeune-femme. Ensemble ils découvrent une crypte étrange qui abritait le théâtre de Robert-Houdin.

D’autres intrigues se greffent à ce double récit, où se confondent références historiques et éléments fictifs qui désorientent le spectateur. Michalik propose une réflexion sur l’illusion consentie de celui qui observe, prêt à se laisser embarquer quand certains veulent à tout prix comprendre, avec ou sans succès. Le passage d’une langue à l’autre y contribue, pendant sonore aux tours de passe-passe visuels. Après avoir entendu les acteurs parler berbère dans le Porteur d’histoires, certains passages sont ici en anglais et en italien. Les époques se répondent, se confondent sur la scène enveloppée d’un halo sulfureux. Car la vie n’est pas un trait mais un cercle, avec ses éternels recommencements.

La narration a beau être inventive, elle laisse beaucoup de place au jeu excellent des comédiens. Pas de décors ni de costumes superflus, c’est en un clin d’œil que ces acteurs amènent un meuble sur scène ou enfilent une veste, fondant le personnage de 1900 dans celui de 1984. Quelques images d’archives défilent, comme L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat ou l’Escamotage d’une dame au théâtre Robert Houdin (1896), où Meliès s’incarne à la fois à l’écran et sur scène. Grâce à cette création qui retisse les liens entre magie et cinéma, Michalik retrouve l’esprit de cette époque en lui conférant les codes d’aujourd’hui.

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