On est souvent surpris par le travail de Philippe Adrien, directeur depuis trente ans du théâtre de la Tempête où il présente des créations très disparates, comme cette mise en scène d’une comédie anglaise contemporaine, adaptée du roman éponyme de Mark Haddon sorti en 2004, qui tranche avec un Feydeau très vif vu il y a deux ans au théâtre de la Porte Saint-Martin.
Le comédien principal, Pierre Lefebvre, est assez bluffant, un jeune-homme dont on découvre les qualités de danseur et gymnaste au cours de deux séquences chorégraphiées, au début et à la fin de la pièce. Il incarne Christopher, cet ado au seuil de l’autisme, plus intelligent et sensible que les autres, qui vit seul avec son père abandonné par sa mère. Un jour qu’il découvre le chien de la voisine assassiné, une fourche plantée dans le corps, il est pris sur le fait par un policier qui le soupçonne à tort. Cette découverte inaugurale, de fil en aiguille, l’embarque dans une grande aventure : il tente de découvrir qui a tué le chien de Mme Shiers, entamant ainsi une enquête bien plus profonde sur ses origines et le drame de sa famille.
La mise en scène est chorale, puisque les comédiens jouent leurs rôles tout en formant un chœur qui assure la narration. Une enseignante du jeune prodige lit son journal intime, dans une alternance de voix réussie : Juliette Poissonnier incarne à merveille ce personnage bienveillant qui fusionne avec l’ado surdoué. L’esthétique est soignée, la scénographie dévoilant à un moment des projections d’images et de sons qui rendent toute l’ambiance du métro londonien.
Quelques passages mis en abîmes tentent de rompre le cours de l’intrigue et le 4e mur de façon plus ou moins heureuse, lorsque les comédiens interpellent les spectateurs, en remettant en cause tel ou tel aspect de la pièce. La relation entre le père et le fils, où se mêlent amour et exaspération, surdité et émotion, est très bien vue, Sébastien Bravard incarnant bien, dans un style actuel et réaliste, le parent dépassé qui n’arrive pas à transmettre son amour. Mais lorsqu’il se met à crier sans retenue, la pièce plonge dans un vacarme excessif et superflu.
Loin de ces spectacles où l’on a toujours conscience que les personnes qui s’agitent sur scène sont des acteurs jouant pour les spectateurs, on se sent ici happé par une intrigue profonde mais sans pathos, servie par des comédiens au jeu réaliste et énergique. Et l’on oublie, le temps que ça dure, qu’on est au théâtre.