La Machine à explorer le temps est un récit d’anticipation, une utopie à la façon des Voyages de Gulliver, où H. G. Wells imagine une société nouvelle dans un monde futur, un âge d’or qui peut tourner à l’enfer quand l’utopie se mue en son contraire. En choisissant l’an 802 701, le récit, écrit à la fin du 19e siècle, donne à voir un avenir si lointain qu’on ne peut le vérifier. Tout en étant audacieux, il évite donc l’écueil d’une science-fiction qui se démode vite, en littérature comme au cinéma. Un fabriquant d’horloges londonien conçoit une machine à voyager dans le temps qui lui permet de découvrir un monde peuplé de créatures étranges, beaucoup moins évoluées qu’il ne l’imaginait. En 802 701, l’humanité s’est divisée en deux espèces, les « Elois » ingénus et les « Morlocks » maléfiques, qui vivent sous terre et font penser aux Yahoos inventés par Swift, race humaine dégénérée régie par des chevaux hyper intelligents, les Houyhnhnms. Dans ce nouveau monde sans culture, caractérisé par la sécurité et l’uniformité, toute forme de curiosité a disparu.
En voyant l’affiche et le dossier du spectacle proposé par la compagnie bretonne Imaginaire Théâtre, on s’attend à une grande machine, à un son et lumière époustouflant. Et de fait, sur la scène de l’Alhambra enveloppée d’une bande son aux violons lancinants, on découvre une immense soufflerie seulement utilisée à la fin, de grandes horloges et des tableaux noirs où l’inventeur dresse des calculs sans fin… Mais l’essentiel consiste en une bâche gonflante sortie d’un cube, où sont projetés des images colorées pour signifier les anfractuosités de cette terre future. Ils sont deux comédiens à porter le récit, qui se confondent parfois : le narrateur Sydney Bernard qu’on écoute religieusement, et l’inventeur joué par un Thierry le Gad presque mutique, chemise et fausse moustache. Lors d’habiles jeux de scène où ils se complètent bien, les comédiens rompent parfois le caractère linéaire de la narration.
L’adaptation compte quelques astuces, comme cette façon de découper le récit en heures symétriques, 12h12, 18h18 ou 20h20. On peut être happé, dans cette histoire extraordinaire, par le premier contact de l’inventeur avec le peuple frugivore qui possède 200 mots à son vocabulaire, levant les bras au ciel en criant « beau » quand la stupéfaction les dépasse, sa rencontre avec Weena qu’il sauve de la noyade, la découverte des dangereux Morlocks enfin, dont les yeux rouges percent l’obscurité… Thierry le Gad illustre visuellement les mots énoncés d’une voix chaude et enveloppante par Sydney Bernard. Mais cette adaptation fidèle du livre ne crée pas la surprise attendue. Bon, c’est déjà une excellente introduction au chef d’œuvre de Wells, pour une jeunesse peut-être habituée à d’autres sortes d’effets spéciaux.