C’est une histoire singulière, pour ne pas dire exceptionnelle : celle d’un esclave qui se rebelle contre son maître. En 1817 à la Réunion, alors appelée île Bourbon, l’esclave Furcy intente un procès à son maître pour faire valoir ses droits d’homme libre, car il a trouvé des papiers attestant l’affranchissement de sa défunte mère à sa naissance. Cette histoire, c’est le journaliste et critique littéraire du Figaro Mohamed Aïssaoui qui la raconte, dans un livre-enquête sorti en 2010, prix Renaudot de l’essai. Et celui qui la monte et l’incarne, c’est le conteur Hassane Kassi Kouyaté, dont on a vu la mise en scène d’Une nuit en palabres avec D’ de Kabal et Abd El Haq…
Lorsqu’on assiste à l’ultime répétition du spectacle, à la veille de la première, le comédien ne connaît pas encore bien son texte. Aussi la pièce manque de rythme et s’étire sur 1h40 au lieu d’1h15. Néanmoins, on ne peut nier la force de cette déclamation. Hassane Kouyaté, seul en scène, incarne l’auteur Mohamed Aïssaoui dont il nous restitue la démarche : sa curiosité est attisée par une vente aux enchères à Drouot, où les archives Furcy sont bradées à 2100 euros. C’est le début de quatre années de recherches, entre la bibliothèque nationale et le tribunal de Saint-Denis de la Réunion. Pour donner vie à l’histoire, Kouyaté joue ses deux principaux protagonistes : le procureur général Boucher qui risque tout pour défendre Furcy, jusqu’à sa carrière, et l’homme à l’origine de sa perte, le puissant propriétaire d’esclaves Desbassayns auquel le maître de Furcy a confié son désarroi.
L’affaire faisant des remous dans l’île, l’esclave est exilé à l’Ile Maurice sous domination anglaise, aux travaux forcés pendant dix ans, jusqu’à être libéré pour des raisons administratives. Au terme de 27 ans d’attente, Furcy, à force d’acharnement et tout empli de la conscience d’être dans son bon droit, lui qui tient toujours en main la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, verra sa cause reconnue en 1843, à la cour Royale de Paris.
La scénographie est épurée : sur le plateau, un chemin pavé encerclant des copeaux de bois, sont projetés des fusains de Stéphane Torossian, paysages de la Réunion, esclaves vendus au marché, plans de bateaux négriers. Lors d’intermèdes, le spectateur est enveloppé d’une voix grave, cinématographique, énonçant d’un ton solennel des phrases fortes comme celles d’Édouard Glissant, « L’esclave de l’esclavage est celui qui ne veut pas savoir ». Il n’est jamais évident, seul en scène, de capter l’attention de l’auditoire. Malgré son impréparation, Hassane Kouyaté y parvient.