Le 104, un espace de création contemporaine de la ville de Paris, met en lumière une scène actuelle au croisement des genres. Ici est l’œuvre commune de Jérôme Thomas, « considéré comme l’un des pères du jonglage contemporain », du mime Markus Schmid, ancien élève de Marceau, et de Pierre Bastien qui élabore des machines musicales avec des robots mécanos.
Sur un écran vibre un instrument à deux cordes, création lunaire qui rappelle le Turak, le théâtre d’objets se doublant ici d’un théâtre gestuel, performance plus « artistique » que technique. Ici, le jongleur ne jongle pas, ou à peine, le mime ne mime pas, mais l’un et l’autre dessinent une chorégraphie abstraite, agrémentée de performances qui sont pour le spectateur autant de réminiscences enfantines de « petit chimiste » ou de petit musicien. Pour quelle puissance d’évocation ? C’est tout le problème.
Comme un clin d’œil à cette « rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » imaginée par Lautréamont, la scène s’ouvre sur un laboratoire où se font face deux opérateurs, tenue stérile et masque de cochon, qui découpent aux ciseaux du slime, une pâte gluante verte. Ils jouent au bonneteau avec des sceaux retournés, empaquettent des boites, parabole de travail à la chaîne, rayent l’acier à l’aide de fourchettes pour produire des stridences insupportables (voir vidéo), avant, une fois ôtées leur armures de polystyrène, de s’automutiler. On l’aura compris, il n’est pas question, Ici, de laisser le spectateur passif…
Le tableau suivant est plus aérien : deux rubans projetés par une soufflerie claquent sur une planche de bois. Animés d’un tremblement mimétique, les comédiens qui ont enfilé de fausses oreilles semblent projetés par un tsunami et finissent par s’accrocher à une chaise… Cette chorégraphie chaotique se poursuit avec des feuilles A4 dont il testent la pesanteur (expérience analogue à celle de Batailles), ou des films plastique avec lesquels ils se débattent. Une machine roule, dont le bruit amplifié, comme l’ombre projetée, crée une ambiance à la Metropolis , traduisant, une fois encore, le poids du travail industriel écrasant l’humain.
Alors ? L’expérience déconcerte et désamorce le jugement. De ces performances de jongleur, de mime et de musicien, c’est la troisième, peut-être, qui nous aura fait rêver…