De la poésie sur scène, c’est rare. Surtout que des jeunes sont à l’initiative de ces récitals. Et le lieu intrigue : qu’est-ce que le SoGymnase ? On gravit des escaliers de service sur une aile de l’imposant théâtre du Gymnase. Passé, au deuxième étage, un restau qui donne accès à la terrasse, on grimpe encore deux degrés pour arriver au seuil d’une salle cosy, sous les voûtes, dotée de places rares et confortables, loin des bancs anguleux du café-théâtre. Il est temps de se glisser dans un des ces fauteuils moelleux après avoir commandé un verre au bar du fond de salle. On est là pour le deuxième volet d’un récital de poésie organisé par la Compagnie lyrique d’Aubervilliers, il s’agit ce soir de poésie scandinave après, le mois précédent, une soirée consacrée aux poètes de la Renaissance. Deux parties de trois quarts d’heure sont séparées par vingt minutes d’entracte.
Dès le départ, on est presque électrisé par la présence tranquille d’Emmanuel Bloch. De sa diction simple et naturelle les vers libres se détachent distinctement, dans la plénitude de leur signification et avec une justesse extrême, comme si chaque mot était senti, pesé, compris. Sérénité, attention tendue du public, délassement onirique… Mais lorsque que surgit Sébastien Ory, qui remplace au pied levé un comédien absent, la magie retombe : l’élocution est artificielle, hachée parfois au milieu d’un vers ou d’une phrase. Quand il ne lit pas son texte qu’il semble déchiffrer, il dit ses poèmes par cœur à la façon des enfants et semble s’écouter parler. Heureusement arrive la troisième comédienne, au jeu affecté mais entraînant. Lente, posée, hypnotique, Eloïse Alibi pose son regard bleu ciel sur les spectateurs ou l’éther au-delà et dit d’une façon appuyée des poèmes poignants. Lorsqu’elle éclate de rire avec ostentation, on croit assister à une parodie de comédienne tragique. Parfois aussi sa diction ralentit tellement qu’elle semble se perdre dans l’espace du silence.
Alors oui, dans ces textes islandais, suédois, norvégiens et danois, il est question de la mer, du vent, du sentiment de la nature et de l’attachement à la terre natale, mais aussi de l’intériorité du poète. Et même d’un escalier qui est à l’image de chacun, à la fois identique à lui-même et chaque fois différent… Au delà d’une poésie moderne qui révèle le quotidien sous des traits singuliers, les comédiens lisent des contes d’Andersen, des extraits d’Ibsen. Si ce spectacle inégal ne renouvelle pas le genre du récital poétique, il aura au moins aiguisé notre curiosité à l’égard de poètes puissants comme le Finlandais Eino Leino, l’Islandais Stein Steinnarr ou la Finlandaise Edith Södergran.