Ça y est ils l’ont dit, on est libres, comment y croire ?
Ça tergiverse tellement, depuis tout ce temps
on a pris racine
je ne parviens pas à décoller de ma chaise,
pourtant je n’ai jamais vraiment été confinée,
je l’étais dans ma tête enfermée,
libre physiquement mais cloîtrée mentalement.
Je peux rentrer, il parait, franchir l’insurmontable frontière
à plus de 100 kilomètres
Alors je prends la route sous un ciel orageux
pluie battante sur une route triste
derrière moi le soleil, devant moi un trou noir bardé d’éclairs
la grêle s’abat sur moi comme si le ciel s’effondrait
je n’y vois plus clair je passe à travers un tunnel
intemporel
j’en ressors sous un ciel bleu délavé, chiffonné
quelques gouttes sur le pare-brise se mêlent à mes larmes,
Mon esprit est confus. Le temps passe si vite
on a déjà oublié le confinement
Nouvelle errance mais sans réel but. Où aller ?
Ahhhh Marseille enfin je te retrouve.
Devant la cathédrale de la Major l’homme qui marche, en bronze,
est toujours à la même place, le regard hagard.
j’entends au loin des:
-« trop cheum le minot, tia vu ? »
-« On va où là, ouèch »?
-« Vas-y, boulègue un peu, là »
– “p’tain t’es trop rénéééé!”
Un ours démesuré d’un orange éblouissant, de style pop art
a surgi du confinement. Sur la plaque à ses pieds: « Protège ton soignant »…
Quoi ? Je lis : “une dizaine d’autres ouvres d’art sont disséminées dans toute la ville.”
ils ont édulcoré ma cité-histoire, mon port d’Orient pendant le confinement
ni vu ni connu, personne pour s’opposer, on croyait l’art perdu
apparemment certains artistes tirent leur épingle du jeu.
j’ose quelques pas sur l’esplanade du J4, devant le MUCEM
les lumières bleutées du bâtiment monumental
le son des vagues brisées
des gens venus parfois seuls, observer l’horizon, sans y croire
moiteur estivale
au sol des flaques colorées
le temps capricieux
les averses nous douchent par instants
On regarde le jour décliner, dégoulinant
un sentiment de liberté, d’éternité
un souffle nouveau
le bruit des moteurs de paquebots, escale sans fin
un vague à l’âme
l’apesanteur du bitume
on se croise, on s’effleure, on se parle du bout des lèvres
savoir quoi dire dans l’obscurité
j’élève mon regard vers les monuments en rêvant de ma reprise,
dans cet autre monde, j’observe ma ville différemment
Ce poème fait partie des 23 contributions reçues mercredi 20 mai 2020, à l’occasion de la 3e scène confinée du Chat Noir (dont le compte-rendu est à lire ici).