Le troisième projet d’Alexis Michalik suscite beaucoup de curiosité, après l’invention débridée du Porteur d’histoire qui reposait sur la seule force de ses comédiens et de sa narration, puis le Cercle des illusionnistes qui s’appuyait sur la technique du cinématographe pour créer des effets de réel troublants. Edmond retrace la création de Cyrano de Bergerac par Rostand. On est ici dans un théâtre plus classique, servi par des décors et costumes étudiés, incarné par des comédiens plus connus, même si le récit dramatique de Michalik ne manque pas d’habileté.
La première d’Edmond se produit sur les lieux mêmes qui avaient accueilli la première de Cyrano : le magnifique théâtre du Palais-Royal. A l’époque, Rostand est un jeune auteur un peu suranné, moqué par les vaudevillistes Courteline et Feydeau (Nicolas Lumbreras) qui ont le goût d’écrire des comédies en prose. Lui vient de lancer une tragédie en vers, La Princesse lointaine, et c’est un four, malgré la présence dans le rôle titre de Sarah Bernard (Valérie Vogt), incarnée ici avec sa voix chevrotante dans un étonnant flashback. Celle-ci l’introduit au vénérable Constant Coquelin qui lui commande une comédie. Ce sera une pièce héroïque et en vers, le plus grand succès du théatre français, Cyrano.
L’inspiration pour écrire cette pièce, Rostand la trouve dans la figure d’une jeune costumière qu’un bellâtre de ses amis courtise : comme celui-ci est incapable de composer des lettres d’amour, c’est Edmond qui s’y colle. Il entretient ainsi une correspondance secrète avec elle en se faisant passer pour son ami, attisant sa passion de son verbe qui touche au cœur et fait mouche. Cette correspondance est le combustible de la pièce que Rostand écrit jour après jour, en un temps record, trois semaines, pour être en mesure de la présenter au public le jour dit.
Il faut dire un mot de la narration : une mise en abyme crée une confusion volontaire entre la troupe de Rostand et celle de Michalik, lorsque les spectateurs sont pris à parti par un homme noir (Jean-Michel Martial) qui leur rappelle le contexte de l’époque, dans un effet un peu hollywoodien. Surprise, le rôle titre est tenu par Guillaume Sentou, la moitié de Garnier et Sentou. Il a beau avoir exactement les mêmes intonations qu’à son habitude, il incarne justement ce jeune auteur fébrile qui veut rester fidèle à sa femme tout en brûlant de passion pour une inconnue.
Il y a toujours cette fluidité particulière dans le jeu des comédiens qui passent en un clin d’œil d’un décor et d’un costume à l’autre. Le public est conquis par les effets de cette pièce reposant sur la séduction des mots, lettres enflammées où l’esprit s’élève et brille, qui font s’exclamer certaines spectatrices d’admiration. Quelques clichés un peu gros mais efficaces achèvent de séduire la salle, comme le tandem de producteurs corses à l’accent caricatural. Ca y est, Michalik touche vraiment tout le monde.
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