Il semble qu’il y ait deux écueils à éviter dans les spectacles mettant en scène la vie ou l’oeuvre des poètes : la tentative avant-gardiste, comme cet Artaud faussement moderne, ou la copie d’écolier sage et sans rature. En guise de pièce sur Elsa Triolet, l’auteure Dominique Wallard a « imaginé » le dispositif le plus simple qui soit : une journaliste en panne d’inspiration doit écrire un article sur la femme d’Aragon et soudain Elsa lui apparaît avant de répondre à ses questions.
« Qui êtes vous, Elsa Triolet ? », interroge donc la journaliste incarnée par Julie Berducq-Bousquet (qui met en scène le spectacle), vêtue dans un style rétro 80’s qui la vieillit. Le texte s’apparente à une longue définition de dictionnaire, en obéissant à un déroulé strictement chronologique qui reste souvent en surface. Néanmoins émerge une idée forte : Elsa et son mari étaient malheureux. Derrière l’amour exalté de Louis pour Elsa dans ses poèmes, il y a un quotidien fait d’indifférence et de tension. « Les couples sont mythiques pour ceux qui les regardent, pas pour ceux qui les vivent », fait dire l’auteure à Elsa à la fin de la pièce. Oui « Il n’y a pas d’amour heureux », aurait écrit Louis.
Face à Brigitte Damiens, qui parle avec un accent russe d’un bout à l’autre de la pièce, Julie Berducq-Bousquet joue la curiosité du fin limier en plissant les yeux et en rongeant les branches de ses lunettes. Comparée à cette Elsa plutôt charismatique, elle fait pâle figure dans son accoutrement vintage. Derrière une paroi semi-opaque, le violoncelliste Frédéric Borsarello (dont on a vu le neveu dans le spectacle de Yanowski) joue une partition classique dans ce décor en papier mâché. Les comédiennes égrainent les dates clés de ces vies presque toujours liées à la guerre et au communisme, comme cette rencontre mythique un soir d’octobre 1928 à la Coupole avec Maïakovski (Elsa tenait absolument à rencontrer l’auteur du Paysan de Paris). On découvre aussi la vie antérieure, en Russie puis en France, d’Ella Kagan qui allait devenir Madame Triolet en épousant très jeune un militaire français, et celle de sa très chère sœur restée en Russie. Si Elsa ne cesse de répéter qu’elle a des amants, on n’apprend rien hélas sur les infidélités d’Aragon, ni son homosexualité latente ou future.
Sur la forme, on regrette quelques accrocs, des hésitations, quand parfois les voix des comédiennes se chevauchent. Car outre ses défauts intrinsèques, sans doute le spectacle n’est-il pas encore mûr…