Hector Obalk est un des critiques d’art les plus connus en France. Il a inventé et développé un nouveau genre oratoire : la chronique picturale, initiée il y a plus de vingt ans dans l’émission d’Ardisson Rive droite, rive gauche, et qu’il adapte sous forme de spectacle solo, en mode stand-up. Quand Alex Vizorek analyse l’art contemporain, lui expérimente depuis une dizaine d’années cette conférence qu’il a aussi déclinée pour Le Caravage. En ce moment, il fait salle comble au théâtre de l’Atelier, en racontant 700 ans d’histoire de la peinture en moins de 2 heures : seul en scène avec un mur d’images numériques, un violoniste et un violoncelliste.
L’affiche du spectacle reproduit ce panneau numérique composé d’un millier d’œuvres, depuis le début de la Renaissance jusqu’à un monochrome d’Yves Klein. Car Hector Obalk a filmé et numérisé chacune de ces peintures lui-même, explorant leurs recoins pour les rendre accessibles sur son site baptisé Grand-Art, comme sa série documentaire, et qui devrait bientôt compter 10 000 œuvres. Ici, son panneau agglomérant plus de 800 images offre une vue globale et chromatique, suggérant l’apparition progressive de lumière au fil des siècles, entre un trecento au fond doré et une profusion de couleurs impressionnistes. En chemin, il montre au public des détails impossibles à percevoir dans un musée, surtout avec des peintures médiévales minuscules, comme ces prédelles de retable (la partie inférieure qui se déploie en longueur comme un comic strip). Certains détails se révèlent en nous apparaissant sur un support de 6 mètres de haut – une surface qui doublera lors de ses deux représentations à l’Olympia.
Un orateur habité par sa matière
Phrasé tantôt hésitant, tantôt lyrique, enveloppant le public dans ses circonlocutions érudites et sensibles où l’analyse picturale côtoie l’histoire de l’art, Hector Obalk est un orateur tout entier habité par son propos, cette passion de l’art pictural auquel il a consacré sa vie. Ici nous explorons avec lui une quinzaine d’œuvres, en alternant observations formelles sur la touche, la couleur, la matière et considérations plus générales sur l’art occidental. La démarche d’Hector Obalk consiste, au fond, à libérer le regard, de sorte que chacun puisse assumer son point de vue. Pas évident, dans ce domaine académique où prévalent des opinions instituées.
Ainsi, le critique s’ingénie à exprimer des théories et des avis singuliers pour déclencher controverses ou discussions fécondes, comme son point de vue sur la supériorité des prédelles sur les retables, l’intérêt des caissons ignorés au plafond de la chapelle Sixtine et à l’image de l’un de ses premiers livres, Andy Warhol n’est pas un grand artiste, qui lui valut « neuf ans de traversée du désert ». Il propose aussi des passages ludiques, interactifs, en posant sa question fétiche : « C’est la main de qui ? », notamment lorsqu’il fait monter un enfant sur scène pour regarder une composition du Caravage, montrant que derrière l’apparente incohérence de cet entremêlement de corps, il y a une réflexion et un réalisme qui fait que tout est toujours à sa place. Outre l’originalité de cette démarche de vulgarisation sensible et érudite, il propose un sketch sur le rapport entre les amis et l’argent, glissant un parallèle entre Protestants et Ashkénazes et suggérant qu’au fond, l’argent c’est de l’amour.
Parcours Béta, 7 siècles de peinture
Des deux spectacles proposés en alternance (dévoilant des peintres et des œuvres différentes), le parcours « Béta » commence par un retable de Giotto, Saint François, le prêche aux oiseaux, dont il montre les résonances avec la prédelle du Couronnement de la Vierge de Fra Angelico. Ce faisant, par un processus d’ « atmosphérisation », on passe du dessin à la peinture, puis, avec Les époux Arnolfini de Van Eyck, des primitifs italiens aux flamands. Après Raphaël et Michel-Ange, le maniérisme italien exulte dans cette Déposition de la croix de Pontormo, dont les personnages portent visages difformes et justaucorps roses.
Du pinceau flou de Vélasquez à la virtuosité enlevée de Fragonard dans Renaud dans la forêt enchantée – qui semble « peint de la main gauche » -, Obalk décrit aussi la touche du peintre, son geste, son style. Comparant Rembrandt et Lucian Freud à quatre siècles d’écart, il recourt aux métaphores et à l’étymologie pour désigner une peinture squamée ou desquamée, sans cesser d’évoquer le travail sur la matière, le corps humain, la lumière. Tout en laissant parler la musique pour mieux servir sa démonstration, lorsqu’il se tait quelques instants.
L’impressionnisme, il le donne à voir à travers deux artistes majeurs : Monet et Cézanne. Si le premier est pour lui un peintre liquide et le second un peintre rêche, leurs manières distinctes, toujours identifiables quoi qu’ils fassent, mèneront à l’abstraction. Contrairement à une idée reçue, ce qui importe pour les impressionnistes, ce n’est pas le paysage, c’est ce qui est à l’intérieur de la matière – dans cette meule de foin de Monet ou dans cette frondaison de Cézanne. Impression photographique où la nature s’offre à nous et où il s’agit déjà de casser la perspective, qui sera le but de l’art moderne. Mais que faire une fois sorti du cadre ? Tout reprendre à zéro, comme l’illustre le parcours de son ami François Boisrond, parti de la figuration libre pour redécouvrir la vraie peinture, ce que finit par montrer Obalk dans un parallèle avec les débuts de cette histoire qu’il a contée en moins de deux heures. Magistralement.
6 Comments