L’autre monde ou les états et empires de la lune, mis en scène par Benjamin Lazar

  • De Savinien de Cyrano de Bergerac. Adaptation et mise en scène Benjamin Lazar. Conception musicale Ensemble La Rêveuse. Avec Benjamin Lazar, Florence Bolton : dessus et basse de viole, Benjamin Perrot : théorbe, guitare et luth baroques.
  • Spectacle vu le 27 septembre 2019 à

La plupart des gens ne connaissent le personnage de Cyrano, né en 1619 et mort en 1655, qu’à travers la célèbre pièce d’Edmond Rostand. Et pourtant, Savinien de Cyrano de Bergerac fut un écrivain libertin et un penseur marquant au 17e siècle. Dans L’autre monde ou les états et empires de la lune et du soleil, publié après sa mort en 1657, il explore le mythe de l’espace, annonce les récits de science-fiction et dresse une satire de la société de son époque à la manière qu’emploiera Montesquieu dans Les Lettres persanes. Après avoir expérimenté sa machine au fil d’expériences infructueuses, le narrateur – Cyrano lui-même -, le corps lesté de rosée, parvient à décoller à la faveur d’une fête foraine puis à atterrir sur la Lune, où il fait la rencontre de quadrupèdes plus avancés que les humains. C’est donc au genre de l’utopie que ressortit ce double-récit dont on découvre ici la partie lunaire, à ranger aux côtés des Voyages de Gulliver au pays des chevaux ou chez les Lilliputiens, d’Utopie de Thomas More ou de La Cité du soleil de Campanella. Imaginer une cité idéale est souvent prétexte à dénoncer les vices de la société réelle. Cyrano disserte de la science ou de la liberté de conscience en citant des savants humanistes comme Cardan, Descartes et Galilée.

Benjamin Lazar, 42 ans, reprend une création qu’il avait donnée en 2008 et reprise en 2013 en ce même théâtre de l’Athénée – Louis Jouvet. Il scande, avec la diction supposée de l’époque, le texte original de Cyrano de Bergerac, qu’il a néanmoins coupé et monté pour que ça tienne en 1h40. Presque seul en scène, il est accompagné de deux musiciens de l’Ensemble La Rêveuse jouant, pour l’un, du « dessus » et de la basse de viole (correspondant à deux tailles de l’instrument), pour l’autre du théorbe, de la guitare et du luth baroque. Florence Bolton et Benjamin Perrot ont fait oeuvre de musicologues en exhumant des œuvres baroques de compositeurs connus des seuls initiés, comme François Dufaut, Sainte Colombe, John Playford, Nicolas Hotman, ou Dubuisson.

Benjamin Lazar emploie toute sa vie à recréer le baroque au théâtre : c’est à la fois un grand spécialiste et un praticien excellent. Il avait notamment mis en scène Le bourgeois gentilhomme de Molière, dont l’oeuvre gagne a être montée à la façon baroque (cf. aussi Jean-Denis Monory avec Le Mariage forcé). La mise en scène à la bougie, noyée dans une obscurité suggestive, rend tout plus signifiant. Quelques accessoires sont exploités avec tout leur potentiel, un pupitre, une chaise, une marionnette. Les visages maquillés sont tout aussi expressifs, et le jeu Benjamin Lazar se déploie par des mouvements déliés et une élocution précise, précieuse qui fait sonner la langue du 17e siècle. Toutes les lettres sont prononcées, notamment les « e » muets qui donnent une ampleur particulière aux phrases gonflées comme des voiles – et le son « oi » domine, car cela se passe avant que l’académie (en 1835) n’admette l’orthographe ais pour les mots terminés jusqu’alors en ois. Cette prose litanique fait parfois penser à une langue étrangère ou à du patois, ajoutant encore cette sensation d’inquiétante étrangeté consubstantielle aux récits utopiques.

 

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