Je parle à un homme qui ne tient pas en place, c’est la correspondance de 30 jours que Jacques Gamblin a entamée en 2014 avec le navigateur Thomas Coville qui cherchait à battre le record du tour du monde à la voile, et qui y parviendrait deux ans après. En 2016, celui-ci réalisait en effet un tour du monde sans escale en multicoque et en solitaire, en 49 jours, 3 heures et 7 minutes. De son côté, Jacques Gamblin est cet artiste polymorphe qu’on connaît au cinéma et au théâtre où il brille souvent seul en scène. Lui qui saute d’un train à l’autre et d’une scène à l’autre, se sent proche du navigateur. « L’un comme l’autre nous ne tenons pas en place, lui sur l’eau moi sur les plateaux, lui en mer moi sur terre », confie Gamblin dans le dossier de presse. Thomas Coville fascine cet artiste toujours prêt a des collaborations audacieuses, comme récemment avec le jazzman Laurent de Wilde, dans Ce que le djazz fait à ma djambe ou avec le danseur Bastien Lefèvre dans 1h23’14’’ et 7 centièmes (Molière du Comédien en théâtre public). Quant au navigateur, il écoute sur son bateau les conversations du philosophe Michel Serres que son père considérait comme un « grand homme ». « Ce n’était pas seulement ses propos qui me touchaient, mais aussi la musicalité de sa voix », confie-t-il au Point. Dès lors, on comprend qu’il soit sensible à l’art théâtral de Gamblin, qui signe un texte tenu, drôle et humaniste, fourmillant de jeux de mots fantaisistes.
Pour cette première au Rond-Point, dix ans après son duo avec François Morel dans une excellente adaptation des Diablogues de Dubillard, le comédien investit un espace à la scénographie épurée. Parfois, la houle et le vent résonnent dans la salle, à travers quelques extraits vidéo de la traversée solitaire de Thomas Coville. Au départ, cet échange ne semble qu’un prétexte, un dialogue de Jacques Gamblin avec lui-même où, au moyen d’une sorte de monologue épistolaire, le comédien cherche à mieux se connaître. D’abord ses lettres envoyées à Thomas Coville restent sans réponse et finalement il parvient, par ses missives amusées ou profondes, à percer une intimité à priori peu friable. Ce spectacle, c’est un geste d’admiration d’un artiste pour un autre artiste, un geste qui sera honoré en retour. Et ces lettres sont quasiment des lettres d’amour.
Il y a quelque chose d’un peu gênant dans ces considérations narcissiques entre deux performeurs qui s’admirent, se flattent de se jeter dans le vide avec toujours un nouveau défi en ligne de mire. Cela ne va pas sans faiblesses ou innocence : une part d’égoïsme avouée pour le skipper et un côté espiègle chez ce comédien parfois facétieux et sautillant. Tous deux ont en commun de rechercher la légèreté, et le spectacle semble une tentative de se détacher du poids du monde et des kilos en trop. Si Gamblin cherche à se mettre en danger, il expose ici une part d’intimité dans un élan baigné d’une discrète autosatisfaction.