Mercredi 18 novembre. Cinq jours après les attentats qui ont fait 130 morts et 300 blessés, beaucoup de Parisiens hésitent à sortir. A l’Espace Chapiteaux du Parc de la Villette, c’est la première du nouveau spectacle de la Compagnie XY, Il n’est pas encore minuit… Fouille des sacs à l’entrée, minute de silence à la fin. On sent évidemment une atmosphère particulière, mais le chapiteau est presque rempli, plusieurs centaines de personnes se sont déplacées.
Les premiers instants du spectacle résonnent avec le contexte : un affrontement qui vire à la baston générale. Deux, quatre, six, huit, jusqu’à 22 acrobates se tapent dessus, la compagnie menée par le chorégraphe Loïc Touzé ayant été agrandie. Sous un éclairage zénithal, les voilà qui se tiennent la main en formant bientôt deux rondes superposées. Ensuite, et tout au long du spectacle, ils s’envoient en l’air en prenant appui sur des tremplins, dessinant d’impressionnantes trajectoires dans l’espace qu’observe un public disposé à 360 degrés.
Des jeux de lumière subtils mettent en valeur les corps qui dansent le Lindy hop, une danse de rue combinant charleston, breakaway et collegiate, se projettent et se réceptionnent, grâce aux portés acrobatiques et aux banquines, les mains entrecroisées pour amortir la chute. Les voltigeurs se servent aussi de bascules et de « planches sauteuses », carrés de bois manipulés pour mieux se propulser.
« S’envoyer en l’air et ne jamais redescendre. S’ériger en haut quand tout s’effondre », écrit la compagnie XY. Ces ballets synchronisés de danses, de chutes, de projections dessinent une chorégraphie subtile, grouillante et inventive, un mouvement perpétuel de corps qui basculent de proche en proche, comme un domino humain.
La notion de collectif se pervertit quand certains poussent brutalement ceux qui prennent leur envol. Les trajectoires sont déviées, où vont-ils atterrir ? La mécanique se dérègle, ils étaient ensemble et les voilà de nouveau les uns contre les autres. Au fond, la même énergie peut tendre vers l’accomplissement d’une performance commune, ou se déployer de façon anarchique pour engendrer la guerre, la folie, la mort.
Le public retient son souffle lors d’une mauvaise réception et si certaines chutes sont voulues, d’autres sont inattendues. Les athlètes prennent des risques bien réels, sans autre filet que leurs camarades qui les soutiennent. Car l’enjeu de ces rapports de force est de retrouver l’unité, parabole de notre pays écartelé par la peur et la menace terroriste.