La cantate est une composition vocale avec accompagnement instrumental, un genre lyrico-poétique qui peut aujourd’hui sembler désuet. Était-ce nécessaire d’adapter cette Cantate à trois voix écrite à 44 ans, en 1911-12, par le poète et diplomate Paul Claudel ? Et pourquoi pas ? Sur ce texte, le compositeur d’opéra Tarik Benouarka a décidé de créer une partition, comme ce fut le cas de Darius Milhaud dans les années 30. Sur la forme, on ne peut imaginer spectacle plus classique.
Trois femmes en tuniques évanescentes, Laeta, Fausta et Beata, incarnant trois âges de la vie et trois conditions : l’une, âgée, pleure son défunt mari dont la disparition lui permet de s’unir à lui, l’autre attend le retour de son aimé, la plus jeune, en blanc, va se marier demain. Pour les incarner, trois comédiennes qui parlent d’une élocution distincte et dont les voix se mêlent dans un entrelacs finement étudié, sur les mélodies jouées au violoncelle par Eléonore Siala Bernhardt, à peine visible au fond de la scène. Installées sur une terrasse dominant le Rhône, toutes ont en commun d’évoquer l’absent, et au fond c’est Claudel qui parle de la femme qu’il a aimé sur le bateau qui l’emmenait en Asie lorsqu’il avait 30 ans. Il transpose sa vision traditionnelle et mystique de l’amour en Laeta, Fausta et Beata, chacune séparée de celui qu’elle aime.
La forme poétique est affirmée d’emblée, c’est un verset envoûtant qui appelle une scansion nécessairement travaillée, vu la façon dont Claudel concevait le travail sur la déclamation. Les premiers mots ouvrent une poésie circulaire qui résonne et engage le poème dans son retour litanique, au mitant de la nuit et du jour, de l’été et de l’automne : « Cette heure qui est entre le printemps et l’été / entre ce soir et demain, l’heure seule qui est laissée / Sommeil sans aucun sommeil avant que ne renaisse le soleil… » Trois vers dits à la suite par les comédiennes dont les voix ne font qu’une. Ces répliques courtes laissent ensuite place à des monologues au verset ample, cantiques aux motifs élégiaques rendant hommage à la nature, au soleil, à la rose. Danièle Meyrieux affiche une expression invariablement souriante, tandis que Mélodie Le Blay s’exalte et que Pauline Moingeon Valles fixe l’éther d’un œil mystique. Seul le spectateur le plus attentif sera récompensé d’un tel voyage, car la richesse et le symbolisme de cette langue ne se laissent pas appréhender facilement.