Pierrick Sorin s’amuse. Comme un enfant, il fait des expériences, enfile des perruques. Branche sa caméra, se filme, imagine des scènes dans lesquelles il joue tous les rôles. Crache de la peinture sur une vitre, projetant ces images de dégoulinade colorée devant l’œil de bœuf d’un voisin énervé, à moins qu’un vieil intellectuel aussi joué par lui ne l’interrompe pour lui reprocher le caractère narcissique de sa démarche. Car c’est un adepte de l’autofilmage. Depuis 1988 où il montrait ses réveils difficiles, sans doute son premier film (voir la dernière vidéo), il n’a cessé d’expérimenter.
Voici, en une heure et quart, un aperçu accéléré de 25 ans de production. Mais pour la première fois, l’artiste ne se filme pas, il est joué par un comédien très ressemblant, Nicolas Sansier, doté d’une voix caverneuse et rauque aux accents presque comiques. La scène figure une reproduction de son atelier, avec trois grands pans d’écran qui montrent ces expériences filmées en direct. Plusieurs dispositifs de caméra permettent de projeter des hologrammes miniatures, petites créatures fondues dans le décor (théâtre optique), ou bien de faire apparaître à ses côtés des personnages de synthèse (autofilmage), comme son double ou ce psy énigmatique qui mange des Kinder Surprise.
Chaque journée commence par un rangement obsessionnel, où il balaie, gratte le sol et le plexiglas maculés de la peinture de la veille et qu’il s’apprête à tacher de nouveau. Ceci de concert avec un monologue en voix off parfaitement écrit, aux airs de confessions romanesques sur la difficulté de vivre en société, un peu à la façon de Houellebecq, dont il emprunte d’ailleurs un extrait de poème mis en musique. On pénètre donc l’intimité laborieuse de cet artiste tourné sur lui même, que les appels téléphoniques dérangent et dont le répondeur accumule des messages de locuteurs en détresse. De là, il imagine une œuvre en incarnant ces personnes qui parlent pour combler le vide d’une absence, se demandant en quoi sa performance diffère de celle d’un comique télé.
Car ses œuvres oscillent toujours entre un esprit potache et une démarche artistique exigeante. Il s’agit de jouer, certes, mais sans qu’il soit question de détourner l’attention des sujets graves, existentiels, ou de cette souffrance éprouvée en cherchant ce qu’il va produire pour la Nuit blanche de 2002. Parfois les idées arrivent, l’assaillent, certaines bonnes d’autres moins. Et c’est l’intérêt d’une telle performance, seul en scène, avec tout le matériel adéquat, que de mettre en application les idées sitôt énoncées, au moyen d’expériences la plupart du temps marrantes. Certaines sont des « trucs à effet », comme cette photo portrait illustrant l’idée de « l’étroitesse nombriliste écartée », où il projette sur son ventre l’image de son visage, la bouche au niveau du nombril écarté par ses doigts. Façon de prendre au pied de la lettre une proposition, comme aurait pu le faire Raymond Roussel , pour se justifier : si l’œuvre dépasse son propre cas et touche à l’humain, alors oui, l’étroitesse nombriliste sera écartée…