Nicolas Lambert est un cas unique dans le théâtre contemporain : il mène de front une activité de journaliste enquêteur et propose un théâtre documentaire ! Après avoir joué avec une précision exemplaire le procès Elf et avant un spectacle sur l’armement, le comédien a enquêté sur le monde du nucléaire en France dont il incarne avec justesse la plupart des acteurs. Voici contée l’histoire du nucléaire depuis 1945, lorsque De Gaulle crée le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour fabriquer la bombe atomique.
Ingénu, le comédien s’adresse au public en dévoilant les sommes colossales dépensées par EDF et Areva en budget publicitaire, malgré leur monopole : 50 millions de pubs annuelles pour EDF, 50 millions aussi pour Areva. Si quelques stand-upers avaient pointé l’absurdité de ces pubs, Lambert pousse la réflexion sans rien laisser dans l’ombre et en tire toutes les conséquences. Ce travail d’une exhaustivité impressionnante, il l’a entamé en 2010, lorsque la « Commission nationale du débat public » organise des rencontres sur l’opportunité de créer un nouveau EPR (réacteur de troisième génération) à Penly, en Normandie – un an après que le choix de ce site avait été fait par Sarkozy. Ces réunions sont vigoureusement transposées sur scène, avec le scepticisme d’une adjointe au maire, la morgue d’un représentant d’EDF, la timidité passive de l’autorité de sûreté nucléaire.
Nicolas Lambert n’est pas seulement habité par son propos, il a le don de dresser d’après nature des portraits vivants et compose un visage avec une mimique, un tic, un regard. En filigrane derrière une toile tendue, un excellent contrebassiste improvise et sample des boucles avec ses machines. Les jeux de lumières sont précis et efficaces, notamment quand le comédien incarne Pierre Guillaumat, cet administrateur du CEA et d’EDF qui fut responsable de la bombe atomique. Il campe aussi Guy Mollet, dont le discours en 1974 marque le début des centrales en France, Pierre Mauroy et, surtout, Nicolas Sarkozy, sans jamais se départir de son même sens du détail.
Nicolas Lambert est un passionné qu’on n’arrête plus. En deux heures quinze, l’attention du spectateur fléchit un peu. Mais il nous maintient en éveil en alternant compositions de personnages et apartés ironiques, par exemple sur la disparation du quotidien La Tribune, suite à une décision d’EDF de couper les budgets pub. L’effort du spectateur sera récompensé, au terme de ce spectacle citoyen et documenté digne de tous les éloges.
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