A la différence de la mise en scène de Par dessus bord à la Colline où Christian Schiarretti cherchait à dépouiller le théâtre de Michel Vinaver des attributs bureautiques qui l’ancrent dans son époque, la mise en scène de Valérie Grail nous place ici d’emblée dans les années 70, avec un ballet coloré de bureaux en épi, téléphones et machines à écrire, sur fond d’accordéon. On pénètre le service après-vente de la société Cosson, une firme familiale de moulins à café qui va connaître la concurrence.
Dès le début, on est placé dans ce théâtre de Vinaver qui prend en charge une réalité rarement montrée au théâtre en se nourrissant de la vie de l’entreprise, de son discours et de sa « culture client ». Le patron pressant et peloteur explique à sa jeune recrue que « le style Cosson s’acquiert » et qu’il faut être « bref, incisif sans être abrupt » avec le client. Vinaver s’amuse à tisser un entrelacs de bribes de vies privées et professionnelles, en juxtaposant des répliques comme autant de monologues. La vie sexuelle des employés qui s’aiment et se trompent traduit bien le mélange des questions personnelles et professionnelles. Quant à Guillermo, le réparateur qui vit dans une utopie de jargon technique et de moulins à café, il connaît mieux l’histoire de la maison Cosson que la sienne propre, lui dont le père a fui la guerre civile espagnole. La pièce déroule ces discours interne fait de noms propres et d’acronymes sibyllins.
La disposition des meubles évolue, ceux-ci se rapprochent et se collent, reflétant le rétrécissement de l’entreprise où chacun finit par travailler sur son voisin. C’est un jeu de chaises musicales sur le plateau, plus le temps de parler au client, à peine a-t-on décroché qu’il faut raccrocher. Les temps changent, une seule image sera désormais autorisée dans les bureaux, il faut améliorer la productivité sans payer d’heures sup’, on sent monter la pression, c’est la grève.
Les comédiens se démènent joyeusement dans ce ballet énergique et bruyant, dont la monotonie se fait mimétique de la vie de l’entreprise, dans un style vintage 70’s tout à fait réussi.
Pingback: L'avaleur d'après Jerry Sterner, mis en scène par Robin Renucci - CRITICOMIQUE