Sans s’être concertés, trois artistes se plaignent sur scène du nouveau bouchon Cristaline et lancent un appel au public comme une bouteille à la mer. Les mêmes critiques font surface sur internet et notamment sur Twitter, tandis que la marque se félicite des progrès écologiques de son innovation.
L’histoire commence à l’été 2016 avec l’arrivée de la nouvelle petite bouteille de Cristaline. Comme certains consommateurs, je suis plutôt amusé par le nouveau bouchon qui s’ouvre et se renferme d’un clic bloquant la bouteille, lequel me procure un petit tressaillement de satisfaction, comme jadis les trouvailles de Pif gadget.
Derrière cet émerveillement premier, il m’apparaît néanmoins qu’un tel bouchon est de moins bonne qualité que le traditionnel bouchon à vis. En fait, il s’agit d’une version améliorée du bouchon souple, en ce qu’il est raccordé à la bouteille, ce qui permet, insiste la marque, d’éviter qu’il soit perdu dans la nature et ingéré par des animaux.
Mais c’est au mois d’octobre, par une série de commentaires entendus sur scène que l’affaire prend forme à mes yeux. En un mois et demi, j’assiste successivement à trois spectacles, un one-man-show et deux concerts, où cette bouteille donnée aux artistes pour se désaltérer sur scène provoque deux réactions satiriques et un mini-drame.
Trois incidents sur scène
Premier épisode, lundi 17 octobre : lors du spectacle autobiographique donné par Vincent Dedienne au théâtre de l’Atelier, le comédien ouvre la bouteille et s’éclabousse. Il s’adresse au public : « Entre nous c’est nul ces nouveaux bouchons, ça ne fonctionne pas. Il faudrait leur dire. J’en profite au cas où il y aurait des gens de Cristaline dans le public. Ou bien si quelqu’un connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un… » Rires dans la salle.
La même semaine, samedi 22 octobre, à l’occasion d’une série de concerts donnés au théâtre du Châtelet par le label No Format, l’épisode se reproduit en anglais. Lorsque la chanteuse new-yorkaise ALA.NI s’interrompt pour boire, elle s’éclabousse et se fend d’un aparté au public sur ce bouchon qui projette de l’eau en s’ouvrant. Et, comme Vincent Dedienne, elle lance un appel au public du Châtelet au cas où s’y trouverait un représentant de Cristaline.
L’épisode le plus spectaculaire arrive le 1er décembre, lors d’un concert de country texane au fort d’Aubervilliers. Quelques minutes après le début de sa performance, le violoniste Wes Westmoreland, accompagné de son guitariste, presse la bouteille de Cristaline qui explose et macule sa chemise à carreaux. Malaise dans la salle, et quelques rires étouffés. L’artiste essaie de prendre l’incident avec humour, mais il a beau être bonhomme, la crispation de son visage et une réflexion faite au régisseur traduisent son exaspération. A la fin du concert, la tache n’aura pas entièrement disparu.
La première fois, je suis amusé, la seconde troublé. A la troisième, je me dis qu’il y a un sujet. D’autant que les deux premiers artistes, Vincent Dedienne et ALA.NI, lançaient un appel au public en l’invitant à transmettre leur grief, dans la mesure du possible, aux responsables d’une telle innovation.
L’argumentaire promo de Cristaline
La marque, de son côté, semble très fière de ce nouveau bouchon « lancé en test dans deux usines depuis avril 2016, ce qui permet de couvrir pour le moment 27 départements. » Elle insiste sur trois arguments : le bouchon, solidaire de la bouteille, ne sera plus ingéré par des animaux ; il ne sera plus égaré dans la nature ; il sera plus facilement recyclé. Dès l’été, des articles de presse s’en fond l’écho, sans jamais évoquer les problèmes pratiques à l’ouverture, comme dans la Tribune ou Citizenpost.
La Cristaline est un des produits phares des eaux Roxane, l’une des eaux les moins chères sur le marché et la plus consommée en France. Selon le service marketing de Roxane, « en France, 1 bouteille sur 3 est vendue à la marque Cristaline. Le format Leader reste le 1,5L. Cependant le format 50 cl est très dynamique, car il correspond à des usages qui se développent (nomadisme, individualisation de la consommation, déjeuners pris à l’extérieur, pour les enfants…). Les plus gros consommateurs de la Cristaline 50cl sont les familles avec enfants. »
Puisque c’est l’eau la moins chère, c’est aussi celle que les productions et théâtres donnent le plus souvent aux artistes – ce qui en fait l’objet de jeux de scène récurrents chez les stand-upers qui se plaisent à boire devant leur public. Outre ce bouchon, c’est l’une des bouteilles qui présente le plastique le plus fin, c’est-à-dire le moins résistant à la pression. Ainsi, un humoriste confie : « Pour autant que tu sois nerveux avant de monter sur scène, le plastique est tellement merdique que j’en ai déjà écrasé plein entre mes mains. Ce qui est logique : c’est la moins chère et c’est pour ça qu’on en distribue avec autant de prodigalité. » Comme lui, nombre d’artistes ont eu des déboires avec cette petite bouteille d’eau. Le service marketing de Cristaline précise que c’est la « bouteille la plus légère du marché », « sans colorant » et qu’elle est la seule à intégrer du « polyéthylène téréphtalate recyclé ».
L’initiation nécessaire à la nouvelle bouteille
Une visite sur le site dédié à l’eau Critalline révèle qu’une initiation est nécessaire pour faire bon usage de la nouvelle bouteille. Outre une page consacrée au « snap clic », « nouveau bouchon solidaire de la bouteille, plus rapide et facile à ouvrir » et reprenant les trois arguments précités, un tutoriel vidéo expliquant le mode d’emploi d’ouverture est inclus dans un questionnaire, à mettre en parallèle avec cette vidéo postée sur Twitter :
Dès l’ouverture, le questionnaire met les pieds dans le plat : « Comment avez-vous ouvert la bouteille ? A deux mains / D’une seule main / Je ne me souviens plus. » C’est la deuxième réponse qu’il convient de cocher, vu le conseil donné dans le tutoriel vidéo : « La 1ère fois que vous ouvrez la bouteille, ouvrez la à 2 mains. » D’autres questions évoquent la facilité d’ouverture de ce nouveau bouchon, puis le caractère ou non pratique de boire à la bouteille.
Toutes ces questions, les internautes, des twittos surtout, se chargent d’y répondre sans même qu’on les leur ait posées. Essentiellement par la négative, en s’accordant à critiquer une ouverture compliquée, en pointant la difficulté de boire, mais surtout en insistant sur les désagréments de cette ouverture qui projette de l’eau dans l’environnement immédiat, au risque d’endommager téléphone portables, ordinateurs, contenus de sacs à mains. On ne trouve que de très rares tweets pour féliciter les inventeurs – peut-être selon la règle qui veut que seuls les mécontents s’expriment.
Pourtant, à en croire le service marketing de Roxane, « les réactions ont été nombreuses, témoignant de l’implication des consommateurs envers l’eau de source Cristaline et tout cela est finalement très positif : passée l’étape de la découverte, les consommateurs apprécient ce bouchon et son utilisation (en voiture, au sport,…), respectent et valident la démarche éco-citoyenne ». Ces consommateurs se seraient même substitués au tuto de la marque : « Ce qui est surtout épatant c’est que les consommateurs ont expliqué aux autres leur découverte du clic de blocage à l’arrière ! »
Réactions de twittos
Une recherche sur Twitter faite le 9 décembre avec le Hashtag « Cristaline » donnait pourtant ces premières occurrences, dont certains tweets humoristiques :
Quant à ce consommateur qui avait fait part de ses critiques au service client, il avait reçu en guise de réponse un argumentaire commercial agrémenté d’un bon d’achat de 1 euro sur 6 grandes bouteilles :
En tout état de cause, ce nouveau bouchon n’est pas très intuitif : faut-il un manuel pour expliquer aux consommateurs le fonctionnement d’une petite bouteille d’eau ?