« N’être pas né ». Ou bien « naître pané ». L’équivoque est à l’image du spectacle : comico-métaphysique. Le philosophe et comédien Yves Cusset, auteur d’essais et de one-man-shows parfois ampoulés, revient sur la scène du théâtre de Ménilmontant pour évoquer la naissance de l’homme, après avoir disserté sur l’engagement politique. Cette « tragédie comique en prose ordinaire » verse au contraire dans une écriture grandiloquente à la Desproges, subjonctifs passés et longues phrases écrites. Mais c’est un style dans lequel Cusset s’illustre avec un certain brio.
Lors d’une entrée en matière à la mode stand-up, lumières allumées, le comédien s’adresse aux spectateurs : dans ce moment censément spontané, le registre soutenu d’Yves Cusset confère un caractère un peu écrit à son allocution, qui sera moins gênant par la suite. Dans cette courte réflexion sur le rire dont la source est dans le malheur plus que le bonheur, Cusset convoque Beckett, Bigard, Aristote (pour la catharsis) ou Bergson (le rire a avoir avec l’intelligence plutôt qu’avec le cœur).
Passée cette mise au point, propre à situer l’« horizon d’attente » du public, commence le spectacle proprement dit, soit le récit d’une naissance, passage paradoxal de vie à trépas puisque la « naissance, c’est la mort de la vie d’avant ». Cette vie symbiotique est à l’image d’une pension complète dans un palace où le fœtus se prélasse, avant de tomber à terre, « pané » et bientôt nourri au « lait Xomil »… Certains filages de jeux de mots font penser au spectacle actuel de Vincent Roca, d’autant que les deux comédiens évoquent la vie, la mort, le temps.
Au passage Yves Cusset reconnait la voix de son Œdipe qui lui dit « nique ta mère », entonne une chanson comme toujours désuète, glisse une analyse phonologique de « maman », ce mot doux, parfait, qui redouble sa syllabe et la nasalise, regrette que les filles qu’il croise ne soient pas assez « mammaires » comparées à sa mère, sans oublier le père absent, ce parasite : « Il y a peut-être un instinct maternel, mais pas de père inné »
Oui, les jeux de mots abondent, pas tous du meilleur tonneau : « j’aurai péri du râle », « tout baignait dans l’huile de ma vie d’ange » avant une « vie d’errance vide et rance », mais il n’y pas que ça. Car le comédien se plaît à donner chair à ses mots en occupant toute la scène qu’il laisse jonchée de feuilles volantes et d’objets divers, dont un bébé assez secoué… Finalement, c’est peut-être une sorte de conférence illustrée sur le rire, dissertation et démonstration, que livre Yves Cusset en prenant pour prétexte cette phrase de Cioran dont il n’a pas le pessimisme : « N’être pas né, quand on y songe, quel soulagement, quelle liberté, quel espace ».
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