Le Gala international Jokenation en anglais fut sans doute la meilleure soirée passée à Montreux, en tous cas la plus saisissante de découvertes. A commencer par deux humoristes d’Afrique du Sud, les MC’s de la soirée, Kagiso Lediga, un grand black à lunettes élégant et pince sans rire, qui fait le lien entre les différents artistes invités, et le petit Loyiso Madinga, jovial et très drôle. Connus dans leur pays, ils sont aussi déjà venus l’année précédente à Montreux. Pour ce gala, ils ont préparé des vidéos comiques présentant les pays et continents concernés, l’Afrique donc, les États-Unis, L’Europe Continentale et la Russie, l’Asie et le Moyen Orient.
Le public suisse est directement pris à partie. « Vous n’avez pas à nous dire merci pour l’or, les diamants, le café que vous exploitez. On vous dit merci pour la corruption, c’est grâce à vous qu’on a eu la coupe du monde en Afrique du Sud ». Kagiso Lediga enchaîne sans défaillir sur un court sketch où il se fait passer pour l’Ebola Monster auprès de mioches ricains mal élevés dans un hôtel de New-York, tenu par des latinos trop craintifs de se faire expulser pour élever la voix…
Ebola sera un running gag de cette soirée, tout comme des imitations d’accents clichés sur le français, langue de la séduction, et l’allemand, langue de l’agressivité. Ou l’appartenance sexuelle. Dans ces plateaux où chacun n’a guère plus de dix minutes pour briller, il faut tout donner tout de suite, et il n’est pas rare que le trait dominant d’une personnalité soit livré d’emblée (je suis homo, on me prend pour une lesbienne, je suis une mère de famille, etc.).
Les dix participants, un nouveau talent et un ambassadeur pour chaque région du monde, se suivent en ordre dispersé, à commencer par Jeff Scheen, découvert aux USA, blondinet fluet au style précieux, rigolo, qu’on prend pour un gay mais qui, finalement, ne l’est pas. A la différence de Craig Hill, Écossais en kilt noir doublé d’une sacoche dorée sur le devant, qui chante et danse comme une folle et tient à rendre gay un spectateur à qui il promet le bonheur en Écosse… Dans un tout autre registre se produit un phénomène Youtube, le seul stand-uper d’origine asiatique qui cartonne en arabe : Wonho Chung, d’origine vietnamo-coréenne (du sud), élevé aux Émirats et en Jordanie dont il possède le passeport. Il tchatche avec un parfait accent américain et interpelle quelques spectateurs tunisiens en arabe.
Prins, un sud-africain à l’accent indien – comme certaines communautés locales -, pointe le ridicule de ces bêtes de foire « unnecessarily strong » qui grossissent à vue d’œil dans les salles de muscu, lui qui est si fin. Igor Meerson, qui jouait pour la première fois tout son spectacle en russe pendant le festival, souligne son aspect cosmopolite, lui qu’on prend pour un local où qu’il aille, et sort les mêmes clichés linguistiques sur le français et l’allemand que Loyiso Madinga.
L’Australienne Katie Burch, blondinette mignonne et immobile, fait dans le stand-up classique en évoquant d’emblée son mari et sa condition de mère de famille semi-alcoolique et à part, car elle se moque de la compétition entre génitrices vantant les qualités de leurs rejetons au bac à sable. Le black british Ola, bonnet sur la tête, pose calmement ses phrases avec un flow un peu saccadé, stylé, taquine le public et livre son hobby consistant à voler les wifi dans les aéroports. Loyiso Gola, sud-africain beaucoup plus grand que son homonyme, évoque les problèmes de censure internet dans certains pays du Golfe, seuls endroits où se révèle concrètement son addiction au porno.
Jessica Michelle Singleton est le prototype de la Californienne qui vit en coloc, parle fort et rit à ses propres blagues. Elle a beau être un peu connue chez elle, ses confessions claironnées sur l’influence de ses règles sur son humeur ne fonctionnent qu’à moitié devant le public suisse. Avec son petit corps contorsionné façon Édith Piaf, elle donne tout direct, en confiant d’emblée ne pas être lesbienne, mais impulsive et rentre-dedans.
On préfère de loin Marina Orsag, Croate au parfait accent américain, qui ne confiera être lesbienne qu’à la fin, mais parle de sa passion pour la fumette, un handicap pour sa carrière, vu que les nouvelles cartes de visite ne lui servent qu’à faire des filtres. Elle mouille tellement, dit-elle, qu’elle imagine pour l’aspirateur de salive des dentistes un nouvel usage qui fait rougir le public…
On termine comme on commence, avec un mini orchestre et un chœur qui chante tandis que les deux animateurs font les zouaves. Une soirée qui a tenu toutes ses promesses, en révélant notamment des filles humoristes assez absentes du gala de clôture.