La conférence, c’est la rencontre entre Meriem Menant, qui a créé en 1991 le personnage d’Emma la clown et Catherine Dolto, fille de Françoise, la célèbre psy pour enfants – et sœur de feu Carlos. Dans la lignée de sa mère et de son père kiné et rhumatologue, Catherine Dolto s’est spécialisée dans l’haptonomie, une méthode d’accouchement qui met en confiance l’enfant par le toucher. A quelques années d’écart, puisque Catherine Dolto a vingt ans de plus que Meriem Menant, l’une et l’autre ont suivi les cours du célèbre Jacques Lecoq, qui pensait que le nez rouge est le plus petit masque du monde. Après quatre spectacles toujours en tournée, dont un sur la psychanalyse et un sur la science, Emma la clown s’associe à une vraie psy pour une performance à la fois scientifique et clownesque.
Catherine Dolto, dont les pieds ne touchent pas le sol, cite sa mère, Novarina, ou Donald Winnicott. Sans cesse interrompue par les facéties clownesques d’Emma, elle disserte sur les enfants, les vieux et les clowns qui rodent à la lisière de la folie et retrouvent leur enfance. Selon l’haptothérapeute, ceux-ci sont paradoxalement « égotisés » et « déségotisés », ils s’ouvrent aux autres en même temps qu’ils s’isolent lorsqu’ils se mettent en scène, ce qui fait leur fragilité et leur force. De son côté, Emma insiste sur des mots ou des concepts qu’elle feint de ne pas comprendre, demandant parfois l’aide du public. Pour montrer comment le clown se met en danger, elle évoque le funambule Philippe Petit, qui a relié les tours du World trade center sans filet.
Dans un monologue bien senti, Emma la clown ridiculise les néologismes et calembours lacaniens. Rien à voir avec la pédagogie claire et fluide de Catherine Dolto, dont la propension aux allégories éclairantes et aux métaphores filées lui vient peut-être de l’émission de radio de sa mère, « Lorsque l’enfant paraît », à laquelle elle a participé. La salle s’esclaffe quand la clown cherche la différence entre thérapique (qui soigne par hasard) et thérapeutique (qui a vocation à soigner, avec de l’argent au besoin), ou qu’elle demande s’il y a des lacaniens dans l’audience.
Après chaque phase sérieuse ou choquante, Meriem Menant sourit et tire la langue au public, pour montrer sa gène. Elle a plus d’un tour dans sa valise : des ballons, des poupées ou des préservatifs gonflés et un sanglier en peluche appelé Schlomo (le deuxième prénom de Freud). Les références sexuelles sont nombreuses, notamment lorsqu’elle mange en plusieurs fois une banane qu’elle veut partager avec Catherine Dolto. Vers la fin, une session diapositives de nouveaux nés semble un peu plaquée sur le reste, pour soutirer de l’émotion : « Regarde l’intensité dans la présence », répète Catherine Dolto à propos de nourrissons en effet très expressifs.
D’un côté, Meriem Menant fait un numéro de haute tenue, malgré la répétition des expressions de son visage. De l’autre, Catherine Dolto présente des concepts intéressants d’où émerge sa vision de l’enfant et de l’Homme. Mais ces deux performances, conceptuelle et clownesque, coexistent plus qu’elles ne s’entremêlent, la clown se contentant d’interrompre la thérapeute, alors qu’elles auraient pu jouer à intriquer leur voix sur une seule partition.