« Il y a deux sortes de travail : le premier consiste à déplacer une certaine quantité de matière se trouvant à la surface de la terre ou dans le sol ; le second, à dire à quelqu’un d’autre de le faire », écrit Bertrand Russell dans l’Éloge de l’oisiveté (1932), à ne pas confondre avec le Droit de la paresse de Paul Lafargue, paru 50 ans plus tôt. Philosophe, mathématicien et prix Nobel de littérature, le 3e comte Russell, bien qu’il incarne cette « classe de loisir » dont il dénonce l’oppression sur les travailleurs, plaide pour une juste distribution des richesses grâce aux progrès de la révolution industrielle. Chacun devrait, selon lui, en travaillant seulement quatre heures par jour, profiter d’un temps librement consacré au loisir, à la science, à la jouissance du monde. Il met en cause cette « morale esclavagiste » qui exalte la notion de devoir en présentant l’oisiveté comme un danger pour la société.
Voici, par un comédien belge, un seul en scène dont la forme et la scénographie simplifiées (trois espaces bien distincts, une table, un fauteuil et un pupitre) se mettent au service du message. Après des études et une expérience d’ingénieur, comme Walter dont il rappelle le profil, Dominique Rongvaux s’est tourné vers la scène. Il parle comme il se présente, une langue propre, classique, tirée au cordeau – ou à quatre épingles. Jeu calme et posé, le comédien incarne tantôt Bertrand Russell, pipe et lunettes pour signifier le personnage, tantôt il commente sa pensée, à moins qu’il n’évoque sa propre expérience du travail.
L’exercice peut paraître convenu, lorsqu’à la suite de Luchini ou Weber, Dominique Rongvaux propose sa version commentée d’une Fable de La Fontaine, « Le savetier et le financier ». Le comédien est plus surprenant quand il saisit tel ou tel ouvrage dont il nous lit un extrait, comme le Dictionnaire historique d’Alain Rey dévoilant l’étymologie de travail, torture en latin, ou qu’il vante avec passion les essais minutieux de Denis Grozdanovitch, le Petit Traité de désinvolture ou L’art difficile de ne presque rien faire. Comment prendre au sérieux les comédiens puisque leur travail consiste à jouer ? Et que penser de cette femme qui, quand on s’enquerrait de son emploi, répondait qu’elle jouait au Parc, le Parc étant un théâtre bruxellois.
Ce seul en scène classique, simple et didactique comme on n’en fait presque plus, tient autant de la conférence que du jeu. On a parfois le sentiment, pas désagréable, d’un catalogue de citations, mais peut-être cette forme policée sert-elle à faire passer la violence du propos, comme cette phrase finale de William Carlos Williams adressée aux poètes beatniks qui l’admiraient : « Il y a des tas de salauds dehors ! »