Au Lucernaire, une jeune troupe monte cinq courtes pièces de Jean Tardieu, dramaturge prolifique habité par la langue et ses miroirs de résonances. S’il a frayé avec les surréalistes, Tardieu n’a jamais fait partie de l’Oulipo, bien que son goût du calembour et du jeu littéraire le rapproche de Raymond Queneau. Dans Un mot pour un autre, les personnages perdent le contrôle et le sens commun en utilisant toujours des mots indus. Les quatre autres textes réunis sur scène témoignent aussi de cet esprit. Finissez vos phrases montre deux amants évoquant leur union sans terminer aucune phrase, leur propos gardant toute sa force émotive. De quoi s’agit-il ? présente un tribunal absurde où l’on ignore la nature du coupable, Oswald et Zénaïde met en valeur les didascalies aux dépens des dialogues, sans omettre ce Guichet où deux préposés répondent aux questions existentielles des voyageurs d’une gare.
Pour servir cette écriture inventive et parfois ingénue, les comédiens font un peu dans le désuet, avec des costumes colorés, de grands sourires et pas mal d’énergie. Sophie Accard signe une mise en scène music hall nourrie de trucs de magiciens pas indispensables et d’intermèdes où résonnent longuement des remix rock de musique classique. Dans ce concert de performances à la fois précises et excessives, on distingue la qualité du jeu de Tchavdar Pentchev, à l’accent bulgare presque imperceptible.
Le procédé d’Un mot pour un autre rappelle la figure de l’à-peu-près, qui consiste à employer un mot à la place d’un autre phonétiquement proche, et que prisent nombre d’humoristes dont Coluche (« un savant de Marseille » ou « je te le donne Émile »). Ici le versant absurde est poussé jusqu’à une ivresse langagière qui semble même annoncer le Kamoulox de Kad et Olivier. « Tant fieu s’il grogne à la godille, mais tant frit s’il mord au Saupiquet ! », s’exclame un personnage.