Loin du cirque animalier de la famille Grüss ou des fantaisies musicales de Madona Bouglione, le cirque Romanès est modeste et sans doute plus authentique. D’abord, parce qu’Alexandre Romanès, qui l’a fondé avec sa femme Délia en 1993, dit que le cirque l’ennuie. Il a pourtant grandi dans cet univers avant de s’en détourner, à 18 ans, pour s’initier au luth et à la musique baroque, en même temps qu’il apprenait à lire et à écrire le français, langue dans laquelle il a récemment publié trois livres de poésie chez Gallimard. Sa femme, Délia, après avoir été voyante, chante et accompagne l’orchestre, une dizaine de musiciens tziganes menés par son père. Elle reprend des chansons, improvise sur les numéros des acrobates, trapézistes, jongleurs, fildeféristes. Ses cinq filles et ses neveux participent à ce nouveau spectacle, La reine des Gitans et des chats, dédié à leur fille cadette. Le chat n’est pas présent à chaque spectacle, c’est en fait son humeur qui est reine. Comment savoir à l’avance si ce jeune félin, plus fier qu’un tigre, voudra bien monter à la corde et en redescendre.
Ce dimanche là, pas de chat, mais l’âme vivante des Romanès incarnée, avec ferveur et simplicité, sur la piste recouverte d’un grand tapis. Dans un début qui semble confus, amateur presque, l’orchestre avance et recule sous l’impulsion d’Alexandre qui veillera à la sécurité des acrobates. Après une succession de facéties au diabolo, surgit une trapéziste à paillettes bleues, puis sa petite sœur, tenue peau de Léopard, courtisée par deux cousins qui grimpent à la corde, font des jongleries, s’envoient des balles de ping-pong par la bouche… Un homme jongle avec 3, puis 4, puis 5 fruits. En l’air virevoltent les cerceaux où s’accrochent de jeunes trapézistes que la ferveur de l’orchestre n’a de cesse de soutenir. Entre grands écarts et sauts périlleux, un clown funambule marque les regards et les esprits, un autre jongle avec des balles rebondissantes. Le public garde son souffle lorsque surgit une fille en tenue blanche qui s’envole, suspendue aux foulards, sous la voûte du chapiteau, avant qu’un oncle ne fasse vriller sur des tiges des ballons de foot et de basket.
C’est son âme nue, dépouillée, que livre sur la piste la famille Romanès, en communion avec le public, sans prétention ni artifice. Le temps d’une représentation, chacun fait le spectacle, participe, entre dans la famille. L’ambiance est dans le public comme sur la piste, les mains claquent en rythme, enivrant tout le chapiteau. « Le mot tzigane est un filtre », répète Alexandre Romanès, pour signifier l’ouverture d’esprit de son public. Voilà sans doute le plus extraordinaire : des spectateurs impliqués, empathiques, émerveillés par cette famille d’artistes gitans et tziganes. A l’issue du spectacle, tout le monde, au centre de la piste, participe à un grand goûter autour de beignets et de vin chaud.