Le théâtre de la marionnette à Paris, dont l’une des scènes principales est à Pantin, le long du canal de l’Ourcq, présente des spectacles souvent expérimentaux, défrichant de nouveaux terrains. Dans Batailles, les marionnettes jouent un rôle peut-être marginal au regard des comédiens, de la musique et des expériences menées en direct. Alice Laloy a conçu et mis en scène cette création qui aurait aussi bien s’appeler Chutes, en s’interrogeant longuement sur le mouvement, la dynamique de ce qui résiste à l’adversité.
Sur la scène sont réunis un technicien, un musicien qui manie avec virtuosité machines et percussions, ainsi que trois comédiens qui manipulent par moments des mannequins troublants de réalisme. Sur un tableau noir, l’un des comédiens écrit des sentences aux énoncés complexes qui sont ensuite illustrées sur scène : « Quel mouvement crée la désillusion ? », « La force nécessaire à se relever de la chute naît-elle dans l’impact ? » ou, à la fin, « La chaux favorise la germination des coquelicots ? », allusion à la chaux qu’on dispose sur les corps des soldats morts sur les champs de bataille. Cette scène est donc un laboratoire où s’expérimente tout ce qui a trait à la chute : des œufs sont cassés, durs ou crus, le blanc et le jaune versés, les corps et les objets poussés, entrechoqués, lâchés, qui tombent à terre comme l’enfant du ventre de sa mère. Les comédiens et les marionnettes chutent ainsi au rythme des impacts sonores. Et à la fin demeure une impression que résume une spectatrice : « ça m’a transbahutée ! » Mission accomplie, alors ?
Par sa musique, ses expériences ou ces amas de chaises suspendues au dessus de la scène, ce dispositif rappelle le Turak. Mais la craie sur le tableau intellectualise sans doute à outrance le propos, au risque de perdre les spectateurs. Les grandes questions posées sont parfois traitées d’une façon inutilement explicite ou bavarde, lorsque est suggérée l’idée que le monde dépend de notre perception, que nous ne voyons pas tous les mêmes couleurs, ou que nous serions tous des marionnettes. Pourquoi ne pas suggérer plutôt ? Ne suffit-il pas de mettre en scène, comme c’est le cas, la ressemblance entre comédiens et mannequins, corps animés et inanimés qui finissent par se confondre ? Avec leur trois physiques si complémentaires, les comédiens font parfois oublier la forme fragmentaire de cet enchaînement de séquences.